En France, les nouvelles du front finissent à arriver. Le 29 août, on apprend la teneur du communiqué daté 25 août rédigé par le général Joffre qui annonce à la fois l’échec de notre offensive en Belgique et que de la mer aux Vosges : c’est l’invasion !

Les parisiens prennent peur quand ils voient ce 29 août le nouveau gouvernement Viviani formé le 26 août partir se réfugier à Bordeaux. Les plus anciens se remémorent les journées terribles qui avaient suivi l’arrivée des Prussiens en septembre 1870. Ah, quel courage ce nouveau gouvernement d’Union Sacrée !

Et voilà que les fantômes de 1815 et 1870 ressurgissent !

Les Français s’interrogent : « Comment en est-on arrivé là ? »

Quelques temps après, on apprendra que le 22 août 1914 devient le jour le plus meurtrier de l’Histoire de France : 27 000 soldats français sont tués pendant cette seule journée dans les combats aux frontières ! (Quatre fois plus qu’à Waterloo !) Le nom de Rossignol où 7000 soldats périssent en quelques heures ne sera connu que bien longtemps après.

En ce qui concerne le 33ème, les pertes entre le 16 et le 29 août ne nous sont pas connues précisément ! Mais elles sont trop nombreuses assurément !

Sur le front, bon nombre de généraux paniquent ! Peu s’attendaient à ce scénario, cette tuerie à laquelle personne n’était préparé.

Joffre, lui, doit bien se rendre à l’évidence, ses offensives ont échoué partout, il faut néanmoins continuer à faire face, à y croire ! Si la bataille des frontières est perdue ; il faut maintenant protéger Paris.

Et c’est dans ces cruciales journées que le 33ème va prendre part à ce que l’on nomme

« La Bataille de Guise »

qui va se dérouler le 29 août 1914.Cette bataille est également connue sous le nom de « Bataille de Saint-Quentin. »

Dès le 25 août au soir, Joffre réunit les membres de son Etat-Major, il n’y a qu’une chose qui le rassure, bien que partout l’on recule, ce n’est pas la débandade.

On s’attend à de grandes colères mais non, lui, le partisan de l’attaque à outrance décide de repartir à l’offensive.

Pour lui, l’effort principal doit porter au nord du pays, à la gauche de son dispositif.

Il reçoit au même moment de plein fouet la colère de French qui reproche à Lanrezac de ne pas l’avoir soutenu lors de son combat face à l’armée de Von Kluck. Les échanges entre les 2 hommes furent pour le moins… virils ! French, ne pardonnera jamais à Lanrezac !

Et comme il reste indépendant vis-à-vis des forces françaises, il redoute que French, suivant les instructions de sa très gracieuse Majesté, ménage ses forces en se retirant vers Amiens puis Compiègne en attendant l’arrivée de renforts.

Dès le 27, il demande à Lanrezac qui pensait se positionner au nord de Laon de se porter sur le secteur entre l’Oise et Saint-Quentin afin de soutenir le redéploiement des forces britanniques justement dans le secteur de Saint-Quentin. Lorsqu’il reçoit cet ordre, Lanrezac se trouve en route vers Laon et Charleville-Mézières. Joffre lui demande de bifurquer à gauche et de se porter entre l’Oise et Saint-Quentin et de couvrir l’armée anglaise qui se déplace vers ce secteur. A la lecture de ces ordres, Lanrezac, coutumier du fait, entre dans une colère noire et s’en prend à l’émissaire de Joffre (le colonel Alexandre). Joffre doit alors se déplacer en personne à Marle où se trouve le QG de Lanrezac pour convaincre le général de la Vème armée qui n’a plus qu’à exécuter la manœuvre après les ordres qu’il reçoit. Malgré ses réticences, les combats vont s’engager le 29.


Position sur laquelle Lanrezac compte se replier avec la Vème armée au lendemain de la défaite de Charleroi

Position sur laquelle Lanrezac compte se replier avec la Vème armée au lendemain de la défaite de Charleroi


Position sur laquelle Lanrezac se retrouve  avec la Vème armée au moment de la bataille de Guise

Position sur laquelle Lanrezac se retrouve avec la Vème armée au moment de la bataille de Guise

La bataille

Pas convaincu, Lanrezac n’en met pas moins beaucoup d’ardeur à exécuter les ordres reçus.

Le général Lanrezac le 28 août organise sa manœuvre en deux parties.

D’abord, il cherche à arrêter sur l’Oise la progression de la IIe Armée allemande de Von Bulow vers le sud dans la région de Guise avec le 10eCorps du général Desforges.

Puis, derrière le barrage ainsi établi, il lance une offensive sur Saint-Quentin vers l’ouest avec les 3e et 18e Corps renforcés par les 37e et 38e divisions d’infanterie coloniale.

Enfin, il garde en réserve le 1er Corps celui de Franchet d’Esperey et du 33ème RI pour l’envoyer soit vers l’Oise, soit vers Saint-Quentin.

Les Anglais, eux ne tiennent pas leurs positions mais les divisions de Valabrègue viennent les suppléer.

Le lendemain les Allemands poussent à l’avant, toutes les unités sont alors engagées dans la lutte.

Le 1er corps d’armée de Franchet d’Esperey déploie ses forces et accourt en première ligne.


Secteur entre Saint-Quentin, Marle, Guise, Laon où aura lieu la bataille. Le 33ème attaque à Sains-Richaumont

Secteur entre Saint-Quentin, Marle, Guise, Laon où aura lieu la bataille. Le 33ème attaque à Sains-Richaumont

A 15h30, le 33ème entre dans la mêlée !

Le 10ème corps d’armée depuis le matin, ne peut plus tenir ses positions, même il recule ! Les 2 corps allemands engagés contre le 10ème franchissent la rivière mais plus ils avançaient, plus ils s’affaiblissaient !

Ce dont Franchet d’Esperey se rendit compte ! D’autant que Desforges (chef du 10ème corps) lui fait parvenir un message de détresse ! La rupture semble proche ! Il lance alors la contre-attaque, passant outre aux ordres de prudence ! Il envoie l’ordre à Deligny de porter ses régiments sur l’objectif !

D’un geste, il lui montre les magnifiques objectifs qui s’offrent maintenant à ses coups.

Rapidement, nos canons prennent part à l’engagement contre les troupes d’assaut allemandes.Ce fut magique. Les Allemands qui menaient ici l’attaque, s’arrêtent un instant, puis n’avancent plus ; Dans cet assaut, le général Deligny envoie ses soldats dont ceux du 33ème en première ligne !

Depuis 6 jours, le régiment se repliait, les journées de marche se succédaient. La retraite, le repli les fantassins commençaient à douter. Fini le parcours champêtre de début août ! C’est sous la mitraille qu’il fallait marcher. Des détachements de boches, des uhlans nous harcelaient !

Les uhlans étaient ces cavaliers prussiens pour la plupart qu’on avait furtivement aperçus à Anthée. En ce début de guerre, ils étaient de toutes les batailles. Ils arrivaient souvent les premiers et semaient terreur et pagaille dans nos rangs ! Le combat d’infanterie engagés ils se repliaient et harcelaient les groupes les plus isolés et pire encore se livraient à d’innombrables atrocités sur les civils se trouvant sur leur passage !

La retraite était rude d’autant que la chaleur, la fatigue, la crasse, la faim, la soif commençaient à se faire sentir. La hargne s’emparait de nous, on avait perdu près 1000 hommes d’après les dernières nouvelles, morts et blessés et…. l’on reculait !

Et ce 29 août, vers 10 heures du matin, on entendit le bruit de la canonnade si proche que l’on se doutait que bientôt, nous allions à nouveau prendre part aux combats.

Le 33ème se trouve alors à hauteur de Housset à 3 km au sud-est de Sains-Richaumont où l’on nous demande d’aller à la rencontre de l’ennemi. La peur au ventre, nous progressons vers l’objectif. Notre artillerie était alors en train de bombarder le secteur. Il en faisait des dégâts notre bon 75, le meilleur canon du Monde !

Le 33ème participe alors à l’assaut ! Par petits groupes, les hommes avancent en s’abritant du mieux possible et se retrouvent face aux Allemands qu’ils ont enfin en point de mire au bout de leur Lebel !

L’effet de surprise marcha à plein. Nos ennemis pensaient que notre longue retraite de 6 jours allait nous fragiliser au point d’émousser notre vaillance au combat ! Que nenni !

Le front d’attaque se déploie sur plusieurs kilomètres, le 1er corps d’armée fait honneur au drapeau Français ! Les divisions Gallet, les divisions Deligny dont nous sommes donnent l’impression d’enfin tenir leur revanche ! Une nouvelle victoire 15 jours après Dinant !

Quelle leçon nous leur avons donné ! Durant 2 heures, ce ne furent qu’échanges de coups de fusils de pilonnage de toute sorte ! Quelle fumée, quel feu, quel bruit !

Un peu plus tard, c’est le futur major-général Edouard Louis Spears, alors capitaine et agent de liaison franco-britannique (il était né en France en 1886 à Passy en France et était parfaitement bilingue) qui écrira avec lyrisme :

Le Général Franchet d’Esperey, à cheval, à la tête de la 2ème brigade, entouré de son Etat-Major, également à cheval, donne l’ordre de l’attaque générale !

C’était un magnifique spectacle qui ne manquait pas d’allure ; les musiques jouaient, les drapeaux claquaient au vent, les troupes du 1er corps, déployées en longues lignes de tirailleurs, se précipitèrent en avant, de part et d’autre du 10ème corps et à la droite du 3ème, furent emportés par cette vague splendide et victorieuse.

Les hommes étaient fous de joie à cette sensation nouvelle et si longtemps attendue.

Les Allemands détalaient, l’artillerie amenait les avant-trains ; l’infanterie se repliait en toute hâte !

Les Hommes n’étaient pas peu fiers d’avoir battu la Garde allemande !…

Pour le 33ème l’objectif assigné est atteint, le village de Sains est repris, les Allemands avaient incendié le hameau de Richaumont.

Nous étions exténués mais fiers, il ne fallait pas relâcher l’attention, on ne savait pas si les Allemands allaient contre-attaquer. Le colonel décida de s’installer autour de Richaumont où nous mettions en place des avant-postes de combat.

L’euphorie de la victoire laissa place rapidement à de la tristesse. On cherchait ses copains, beaucoup étaient absents à l’appel ! Et un peu plus loin ; entre les lignes, on entendait les cris et les gémissements des blessés ! Epouvantables ces cris de soldats qui souffraient et dont beaucoup ne seront pas secourus. La nuit empêchant l’évacuation des blessés. On fera les comptes plus tard !

Toute la nuit, nous restions aux aguets ! En plus des cris des blessés, on entendait, proches de nous, les boches qui rôdaient. L’affaire n’était pas finie ! Des observations de nuit nous apprirent que les Allemands étaient regroupés au niveau de Colonfay.

Au petit matin, avant même le lever du soleil, le colonel vint nous prévenir que nous allions reprendre l’attaque au plus tôt afin de prendre les Allemands par surprise. Suivant les ordres, à 5h, les patrouilles reprennent leur service. Il fait à peine jour : dans le brouillard épais qui bloque notre étroite vallée, le clair de lune et l’aube mêlent leurs froides lumières. Nos éclaireurs se retrouvent nez à nez avec les postes ennemis postés à l’avant. Surpris, ils gardèrent cependant suffisamment de lucidité pour alerter au plus vite leurs unités qui, on le savait, occupaient le village de Cofonlay.

Provenant de leurs lignes, une sonnerie retentit. C’était le moyen qu’ils utilisaient en cas d’alerte.

Pour l’effet de surprise, c’était râpé !

Les hommes partis en premier, on ne les revit plus vivants, aucun ! Les allemands les fauchèrent en quelques salves de fusil et de mitrailleuses.

Plus tard, on vit que les tirs provenaient de tranchées que les allemands avaient creusées au sud du village.

Ah ! Ces fameuses tranchées !


Carte des lieux où le 33ème (du 1er corps d’armée) prit part aux combats les 29 et 30 août 1914

Carte des lieux où le 33ème (du 1er corps d’armée) prit part aux combats les 29 et 30 août 1914

L’euphorie de la veille laissa place à une immense déception, l’objectif envisagé, c’est à dire continuer à avancer sur le secteur ne put être réalisé. C’est à ce moment du récit qu’un fantassin du 33 relata les actes d’héroïsme qu’il vit en ces 2 jours de combat.

Comme les camarades de la 8ème compagnie, refusant d’abandonner la moindre parcelle de terrain et qui, comme à Fort Alamo luttèrent jusqu’à leur dernière cartouche !

Ou encore, quant au plus fort du conflit, on vit le colonel venir à cheval sur le front accompagné du commandant Marquis.

Ils encourageaient les hommes, les replaçaient au mépris du danger. Chevauchant d’un groupe à l’autre, méprisant le feu ennemi qui jamais ne les atteint !

Les blessés ne furent pas oubliés avec l’abbé Vitel, l’aumônier du régiment, d’un dévouement à toute épreuve, prodiguant aux blessés des premières lignes les secours de son ministère jusqu’à ce qu’il soit blessé lui-même !

On raconte le courage du sergent Wartelle parcourant la ligne de front en donnant des ordres, tous les officiers de sa compagnie étant tués ou hors de combat.

Malgré une énergique et intense résistance, il fallut bien se rendre à l’évidence ! L’âpreté des combats était telle, la rupture mainte fois retardée… que, finalement, le 33ème dut se résigner à rompre le combat ! Les Allemands ayant amené dans le secteur des pièces d’artillerie contre lesquelles, nous n’étions pas en mesure de résister !

Le bilan de ces deux journées restait globalement positif ! Le bilan le montra plus tard !

Le soir même, les combats cessèrent, on pouvait annoncer que

Guise

était la première victoire française obtenu sur le front nord depuis Dinant le 15 août !

D’un point de vue général, la résistance française a ralenti considérablement l’avancée de la IIème armée allemande. En conséquence, le général Von Kluck, commandant de la Ière Armée allemande doit repenser son mouvement stratégique. Craignant que la Vème armée ne coupe en deux la liaison entre les Ière armée et IIème armée allemandes, il modifie sa trajectoire prévue initialement et en se rapprochant de Von Bülow, va offrir un peu plus tard l’occasion à Joffre de l’attaquer sur son flanc.

Ce sera le miracle de la Marne !

Mais le 3 septembre 1914, le général Joffre démet de ses fonctions le général Lanrezac.

Ce limogeage résulte d’un ensemble de motifs. Il est lié à sa mésentente avec le maréchal French et à ses critiques vis-à-vis des actions du GQG. Et surtout de l’animosité entre Joffre et Lanrezac ! Ils se détestaient ! Il fera le bonheur du général Franchet d’Esperey qui le remplaça à la tête de la Vème armée.

Deligny deviendra général du 1er corps d’armée. Duplessis prenant sa place à la tête de la 2ème division d’infanterie. Et le chef de corps du 73ème le colonel Bernard fut promu général un peu plus tard et pris le commandement de la 2ème division ! Stirn vit sa côte remonter ! Nous le verrons un peu plus tard !

Quant au bilan humain, nous avions déjà parlé de ce funeste 24 août, le jour le plus sanglant de l’histoire de France.

La bataille de Guise fut sanglante, elle aussi !

Côté Allemand, ce sont, au minimum, 2500 soldats qui perdirent la vie en seulement 2 jours. En comptant les blessés et les prisonniers, c’est, au bas mot, 10 000 hommes hors de combat ! On a déjà signalé que les Allemands tenaient plus ou moins secrètes les « statistiques » sur leurs pertes.

Côté Français, les hommes installés en hauteur, dans les communes le long de l’Oise, témoignent :

Le champ de bataille est jonché de morts et de blessés dont beaucoup vont agoniser de longues heures, les services médicaux étant incapables de faire face à cette nouvelle hécatombe ! Longtemps, on entendit hurler ces malheureux !

Pourtant, on essaye d’organiser l’évacuation des blessés. On profite de la voie ferrée pour organiser des navettes par chemin de fer vers Marle (à 15 km) où se situent les postes de secours.

L’armée française, parle de 5800 morts et blessés durant la bataille, dont 240 officiers ; on dénombre le nombre de soldats faits prisonniers à environ 2000.

Pour le

33ème

, les pertes font état d’un nombre de 598 pertes (morts, blessés graves et prisonniers) rien que pour

la bataille de Guise

. Les blessés du 1er corps purent bénéficier d’une évacuation rapide grâce aux voitures sanitaires qui arrivèrent assez vite (et vides, ce qui devenait de plus en plus rare !) sur le secteur. 600 hommes sont ainsi évacués avant de se retrouver prisonniers aux mains de l’ennemi.

Le reste du

33ème

fut rapidement envoyé en Champagne et d’étape en étape, va se retrouver en campement dans la région de Sézanne. Nous sommes début septembre et la Bataille de la Marne va s’engager dès le 06 du mois !

Nous retrouverons notre régiment participant à la Bataille de Reims !